L’histoire de l’avant-garde artistique s’est entre-autre caractérisée par une volonté de réduire l’écart entre l’art et la vie ; au point de les confondre et de rendre possible une "existence artistique" débarrassée du besoin de produire des œuvres tangibles. Jean-François Octave (appelons-le JFO) n’a pas cherché à atteindre une telle extrémité : il aime trop le faire, qu’il s’agisse de dessiner, peindre, écrire, couper, coller ou photographier ; comme il aime trop le papier, les images, les magazines, les mots et leurs typographies, les disques, les K7, les films, les beaux objets design comme les bibelots et les souvenirs qu’ils charrient (ou non). Impossible pour lui de se contenter de regarder le monde ou de le dupliquer : il faut en rapprocher des éléments, les associer, les croiser, les mélanger, les distordre, les scratcher et même les mixer si besoin en est.
Pour JFO, la vie est un répertoire permanent où puiser plutôt que s’épuiser, où s’emparer des choses plutôt que se laisser désemparer par son flux. Aussi n’est-il pas surprenant que très tôt le jeune JFO (début 70’) remplisse ses premiers agendas de notes diverses, de croquis, de petits collages… Autant de gestes qui constituent à la fois le répertoire de son existence et sa transformation en une succession d’instants de grâce qui la rendent supportable. Recenser et transformer pour (pouvoir) exister ! A moins que recenser ne soit déjà transformer ? Parce que transformer serait la seule condition pour exister ?
En parallèle, lors de ses études d’architecture à La Cambre (tout début 80’), JFO produit des fanzines d’inspiration punk. Normal ! Éternel enfant de son époque, il a toujours accompagné les (épi)phénomènes du moment présent, quels qu’ils soient. Le punk l’a conforté dans une de ses intuitions premières : il n’y a pas de hiérarchie entre les choses ; tout peut se valoir ; tout peut mériter son attention ; tout peut faire l’objet d’associations. Les historiettes personnelles se mêlent alors à la grande Histoire ; les clichés les plus éculés de la pop culture, aux chefs-d’œuvre de l’art ; les grands personnages du monde, toutes époques confondues, aux anonymes croisés lors de pérégrinations à travers le monde ; les émotions personnelles aux réflexions abstraites ; la Littérature, à toutes les paralittératures ; le grand Style, à l’écriture normalisée ; etc. Faisant partie des collections du BPS22, les originaux de cet ensemble de fanzines seront prochainement scannés et disponibles sur le site du musée.
Avec le temps, les agendas de l’adolescence ont laissé place à de petits carnets de notes à spirales, puis des cahiers plus conséquents, croisant textes et images (peintures, dessins, photos, collages etc.) où les lettres elles-mêmes sont aussi et avant tout des dessins. Enfin (mitant des 80’), ce sont des feuilles A4 agrafées entre elles qui finissent par constituer un corpus de 300 pages. Intitulé évidemment Vie & Œuvre, l’ensemble fait partie d’une collection privée belge que l’on espère rendre accessible prochainement sur ce site !
Les technologies de graphisme évoluant (début 90’), JFO a étendu sa palette, profitant des différents logiciels et autres applications pour faire sans cesse évoluer son support. Désormais (depuis début 2000’), ce sont des dessins et écritures digitaux qui occupent les pages virtuelles d’un diary électronique, à la publication hebdomadaire régulière. Totalisant à ce jour plus de 5000 pages pour plus de 680 numéros, un nombre incalculable d’essais-erreurs et quelques gigabits de mémoire, ce journal personnel redéploye, en les associant, les travaux anciens et les préoccupations récurrentes de l’artiste. "Entre journal intime, révélations people, réflexions socio-politiques et poétiques, Jean-François Octave, adepte de l'appropriationnisme et fan de Jean-Luc Godard, tisse un récit aux allures d’instantanés, aux frontières du pop art, du concept et de la littérature, en mêlant photo, peinture et d’autres techniques" écrit Daniel Vander Gucht, sociologue de l'art et fondateur des éditions La Lettre volée.
Ces 680 numéros sont désormais accessibles sur le site du BPS22 ! Et parce que l’artiste n’entend pas s’arrêter, il a été invité en résidence virtuelle sur le site et pourra ajouter chaque semaine le nouveau numéro de son diary. Une occasion exceptionnelle de partager son travail en évolution permanente ; à moins que ce ne soit en révolution permanente.
Dans le catalogue "Greatest Hits (2)", publié aux Éditions La Lettre Volée, j'écrivais déjà (début 2000’) : "Les propositions visuelles, spatiales, de Jean-François Octave apparaissent comme la possibilité de résoudre poétiquement les tensions inextricables entre la singularité existentielle et les contingences imposées du monde extérieur. Entre le repli autiste sur soi et la dissolution individuelle dans l’apparent désordre déshumanisé du monde, l’artiste trouve en permanence un équilibre poétique, un système d’appréhension, à l’échelle humaine, susceptible d’embrasser l’étendue monstrueuse et informe de notre univers quotidien. Bibliothécaire enthousiaste de sa propre existence, il ordonne son monde entre tendresse et ironie, et rend le nôtre viable."