Andres Serrano est né d’une mère cubaine et d’un père hondurien. Il passe une enfance baignée par une culture catholique très stricte. Dès son plus jeune âge, il visite régulièrement le Metropolitan Museum of Art où il admire les peintures religieuses de la Renaissance et décide de devenir artiste. De 1967 à 1969, il étudie à la Brooklyn Museum Art School. Peu talentueux pour la peinture, il se tourne vers la photographie et développe un travail sous forme de séries photographiques. Marginalisé par ses origines afro-cubaines, il est influencé par l’esthétique populaire de la pub et des magazines. Il est fasciné par les symboles de la religion avec laquelle il entretient un rapport ambigu. Andres Serrano s’intéresse aux minorités et aux tabous sociaux (mort, sexe).
Ses premières photographies mettent en scène une Pietà atemporelle qui tient dans ses bras un poisson glissant ou encore un autel recouvert de pattes de poulets. Dans les années 1980, l’artiste développe un travail sur les fluides corporels (sang, sperme, urine et lait maternel) dans lesquels il plonge toute une série de symboles de notre société. En 1987, suite à l’exposition de son œuvre Piss Christ, la photographie d’un crucifix immergé dans un bocal d’urine jugée blasphématoire par la droite catholique et le Sénat américain, il se retrouve au cœur d’un scandale qui le fait mondialement connaître.
Malgré les controverses qu’il suscite encore aujourd’hui (la série History of Sex, qui évoque la monstruosité de l’industrie pornographique, est interdite aux mineurs dans plusieurs expositions), Andres Serrano est avant tout un formidable portraitiste des sociétés humaines malgré la dureté de ses sujets. Son œuvre montre la complexité et l’ambiguïté d’une époque déchirée entre le moralisme puritain de ceux qui la dirigent et l’amoralité sans complexe véhiculée par les médias de masse. Mais s’il touche les thèmes les plus alternatifs, leur traitement fait en sorte que l’artiste se dégage de la simple provocation ou de la vulgarité. Mise en scène des sujets, traitements des images, pureté des couleurs, éclairage, etc. font comprendre que l’esthétisation d’une image n’est pas essentiellement réservée aux sujets nobles. Son œuvre, nourrie par les références à la peinture classique et baroque, recourt aux procédés du portrait traditionnel pour dépeindre la condition humaine.
Ainsi, lorsqu’il réalise la série Les Nomades (1990) présentant des exclus (sans-abris, noirs, rastas, marginaux) vivant à New York, les taches, rides, fermetures-Eclair cassées et textures de vêtements abîmés deviennent des éléments décoratifs qui font presque oublier la réalité sociale des modèles photographiés. Avec Ku Klux Klan (1990), il privilégie les vêtements, les cagoules et cherche le symbole plutôt que les visages des personnes du Klan. Après le 11 septembre 2001, il commence la série America, vaste fresque d’un pays déboussolé. À travers plus de cent portraits de ses compatriotes, cadrés et photographiés de manière identique, il montre le melting-pot de couleurs, d’ethnies, de professions et de religions.
En 1992, Andres Serrano fréquente une morgue new-yorkaise et photographie les corps qui y sont entreposés. Loin de tout voyeurisme ou photographie de reportage, l’artiste ne montre pas des personnes mais la mort dans sa dimension humaine et universelle. Jamais un corps n’est montré en entier. Ce sont toujours des détails (bras, torse, pied, …). Si le visage est au centre de l’image, le regard est recouvert d’un drap. Pour les différencier, Andres Serrano se contente d’indiquer la cause du décès (pneumonie infectieuse, suicide par mort au rat, mort par le feu, …). Et si certaines images sont violentes, sanglantes ou insupportables, il n’y a aucun pathos. Rien de gris, de terne ou de froid dans ses photographies. Au contraire, très influencé par la peinture classique, Andres Serrano recherche avant tout la beauté plastique. Effets de couleurs (rouge, blanc et violet appartenant au registre catholique), drapés et clairs-obscurs sur fonds noirs rappellent les Fragments anatomiquesde Géricault, La leçon d’anatomie du Docteur Tulp de Rembrandt, les chairs à vif de Francis bacon ou encore les esquisses clandestines de Léonard de Vinci qui déterrait les corps fraîchement mis en terre.