Le tableau Tête de mort que Walter Swennen réalise en 1991 illustre parfaitement la démarche de l’artiste. En pratique, il a été peint sur l’envers de la toile afin de favoriser l’absorption de l’huile et d’apporter une texture particulière à la première couche. Le format est celui d’un faux carré particulièrement apprécié par l’artiste. Ce format constitue, pour Walter Swennen, le rapport parfait pour interagir physiquement avec le tableau.
Le fond de la toile est caractéristique de nombre de ses œuvres et évoque son attrait pour le blanc d’Espagne qui recouvre les vitrines lors de travaux de transformations. L’artiste apprécie cette couleur, car explique-t-il, elle est comme la neige, aveuglante, non-couvrante, semi-transparente, laiteuse et fonctionne comme une peau ; à la fois dégoutante et fascinante¹. Le blanc d’Espagne, tout comme le blanc de zinc et de plomb, constitue, comme dans Tête de mort, la base de nombreux tableaux. L’artiste considère chaque élément de la surface, il attache une importance particulière au cadre dont les coulées sur la gauche et le prolongement d’une tache sur la droite marquent pleinement sa présence et participent à la dynamique de l’œuvre.
Captivé par les têtes de mort depuis son enfance, Walter Swennen en fait le sujet de son tableau, probablement exécuté à Anvers dans son nouvel atelier de l’époque². Il affuble le crâne d’un entonnoir en guise de chapeau et place dans sa bouche un sifflet "sans gêne" rappelant l’humour grotesque et macabre de James Ensor autant que la fête des morts au Mexique. Ce motif de la vanité tournée en dérision est la parfaite réplique d’un dessin réalisé par l’artiste, en 1988, pour le carton d’invitation d’une exposition au Beursschouwburg à Bruxelles³. L’image de l’entonnoir, symbole de la folie, apparaît régulièrement dans les peintures de l’artiste. Au Moyen-âge et à la Renaissance, l’objet représente la transmission du savoir si la pointe est dirigée vers le bas et la fuite des idées lorsqu’elle est orientée vers le haut et, par extension, la folie. Chez Walter Swennen, il apparaît dès 1981 sur les vitres d’une exposition à l’ERG⁴ et dans les tableaux intitulés Konijn et Alphabetum. Dans ces œuvres et d’autres, l’artiste, passionné par les dictionnaires bilingues, s’amuse et joue avec les métaphores de la langue.
Walter Swennen ajoute les deux premières lettres de l’alphabet dans le coin inférieur droit du tableau formant « BA » notamment par l’intérêt qu’il nourrit pour la typographie. Ce « mot », issu de l’apprentissage élémentaire de la langue, a son B retourné et devient alors une forme abstraite appréciée pour sa qualité plastique. Le geste résume ainsi l’ensemble de la peinture qui devient le "BA ba" de l’existence. Sélectionnée par Harald Szeeman dans le cadre de l’exposition La Belgique visionnaire⁵ en 2005, à BOZAR⁶, à Bruxelles (BE), ce tableau condense de nombreuses préoccupations de l’artiste et démontre qu’il traite avant tout du langage de la peinture.
1. Informations reçues de l’artiste lors d’un entretien accordé le 15 juin 2015 dans son atelier.
2. Au sujet de la biographie et du travail de Walter Swennen, voir:Walter Swennen : So Far So Good. Bruxelles, Wiels, 2013-2014.
3. Ibid., p.237. Il apparaît également sur la couverture du catalogue : Walter Swennen. Heerlen, Stadsgalerij, 1990.
4. Cf. supra
5. La Belgique visionnaire. C’est arrivé près de chez nous. Bruxelles, BOZAR, 2005.
6. Depuis 2003, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles a été rebaptisé BOZAR