Marthe Wéry (1930-2005) figure assurément parmi les artistes belges les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. En 2001, suite à une rétrospective à Bozar, à l’occasion de la Présidence belge de l’Union Européenne, elle a participé, aux côtés du photographe Dirk Braeckman et du plasticien Jan Fabre à un projet d’intégration de plusieurs œuvres au Palais Royal à Bruxelles. Elle est également présente, via des ensembles importants, dans la plupart des collections des musées belges (MRBA, S.M.A.K, M hka, MuZée) et, à l’étranger, notamment dans celles du Centre Pompidou et du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. C’est toutefois au BPS22 Musée d’art de la Province de Hainaut qu’est rassemblé le plus grand nombre de ses œuvres.
Née à Bruxelles en 1930, Marthe Wéry a étudié en élève libre la peinture à la Grande Chaumière à Paris. Elle a appris la gravure à l’Atelier 17 avec Stanley William Hayter, tout en pratiquant le dessin en autodidacte. Après quelques recherches, notamment dans le domaine du dessin (paysages, nus, scènes de bataille), elle s’impose sur la scène belge avec ses gravures géométriques, inspirées du constructivisme (première exposition personnelle à la galerie Saint Laurent à Bruxelles). Ces travaux se caractérisent par la justesse de leur composition et la dynamique des textures de surface dont elle exploite toutes les possibilités. S’ensuit une série de tableaux géométriques, directement inspirés de ses recherches en gravure, qui condensent les enjeux de ses gravures : matérialité du support, variations de texture et réflexion de la lumière, notamment par l’utilisation de bombes en spray qui produisent des aplats finement mouchetés.
Au début des années 70, elle se tourne vers une forme de minimalisme, marqué par ses compositions grises faites de lignes denses tracées à la règle ; d’abord sur toile, ensuite sur papier de formats et de textures divers. Leurs formats indistincts, aux contours incertains, accentuent la dialectique dynamique mise en place entre structure et format ; leurs textures noueuses accrochent la lumière. Elle veille en outre à ce que chaque composante apparaisse pour elle-même : le support est visible, l’encre est perceptible, le format du support se marque nettement. Marthe Wéry est alors remarquée sur la scène internationale et participe à l’exposition Fundamental Painting au StedelijkMuseum à Amsterdam en 1975 ; puis à la Documenta 6, à Cassel, en Allemagne.
En 1982, son intervention dans le pavillon belge à l’occasion de la Biennale de Venise marque le grand retour de la couleur dans son œuvre. Elle poursuit la décennie en multipliant les expérimentations radicales qui décomposent les composantes essentielles du tableau : support, forme, cadre, couleur. Ce sont les séries Montréal, Sao Paulo ou a/d Drecht. Les toiles de différents formats sont autant de « touches » de couleur, agencées sur le mur blanc. La tension entre la forme et le format se déplace cette fois à l’échelle du mur. L’architecture du lieu d’exposition prend une place de plus en plus affirmée dans le dispositif final.
Si le début des années 80 est marqué par le retour de la couleur, la fin de cette décennie et le début de la suivante voient de nouvelles recherches qui aboutissent à des séries radicales : a/d Drecht sont des séries de panneaux ou toiles bordées de MDF taillés en biseau. Le format du panneau est fermé par un cadre, dont certains côtés sont laissés ouverts. La profondeur du bleu est contredite par la brutalité du panneau. La tension entre l’aplat coloré bleu et le support brut est encore amplifiée quelques années plus tard, dans une autre série, montrée pour la première fois au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris lors de l’exposition L’Art en Belgique. Un point de vue: Un panneau coloré d’un gris neutre repose sur l’un des 7 panneaux de bois brut. Avec cette série historique, Marthe Wéry atteint un point rare dans son questionnement sur le support de la peinture et ses limites.
Au début des années 80, Marthe Wéry produit une série de tableaux d’un gris minimaliste, traversés de lignes méplates, horizontales ou verticales, établissant le passage de différents plans. Ces tableaux « en relief » sortent de la planéité pour structurer l’espace selon un rythme précis qui modifie la perception de surfaces colorées uniformément. Une véritable rythmique plastique semble moduler les plans du tableau et, par extension, l’architecture qui l’accueille. Une pièce, faite de deux panneaux de bois peints et superposés l’un sur l’autre avec un léger décalage, et appuyés contre le mur, manifeste ce nouveau point limite que l’artiste atteint dans la décomposition des composantes du tableau.
Au milieu des années 90, Marthe Wéry développe de « nouvelles manières » de peindre afin d’exploiter les potentialités de la surface du tableau. À une période radicale succède ainsi une période plus colorée mais toujours rigoureuse, où s’expriment différemment certaines préoccupations plus anciennes (architecture, luminosité, etc.). C’est le cas de la série ouverte Calaiscommencée en 1995 et arrêtée au décès de l’artiste, faite d’une vaste installation de panneaux de MDF, couverts d’un bleu ciel, allant d’un bleu-gris sombre à un bleu-blanc d’une grande fraîcheur, qu’il est possible de reconfigurer en fonction de l’espace d’exposition. L’ensemble est ce que l’on appelle aujourd’hui un « media variable », c’est-à-dire une sorte de partition plastique (au sens musical du terme) qui doit être réinterprétée à chaque présentation. Comme toute interprétation musicale, la présentation fait l’objet d’une appréciation distincte de l’œuvre.
Marthe Wéry décède en 2005 peu après sa dernière exposition « Les Couleurs du Monochrome » organisée par le BPS22 au Musée des Beaux-Arts de Tournai, dans le cadre de Lille 2004, Capitale européenne de la Culture.